Saint-Brevin. Lettre d'une députée socialiste à un
migrant de Calais
Ouest-France le 24/10/2016 à 11:54
Monique Rabin, députée socialiste du Pays de Retz,
a été bouleversée par sa visite de la "jungle" de Calais en août
dernier. | Ouest-France
« À toi, migrant
inconnu, je souhaite la bienvenue. Je serai heureuse de te rencontrer, de
t’entendre, de partager », écrit Monique Rabin dans une lettre adressée aux
cinquante migrants attendus dans les prochains jours à Saint-Brevin.
« Mal de ta souffrance »
« Je ne sais pas qui tu es, ni d’où tu viens. Je ne
sais pas ce que tu fuis : la guerre, la faim, la torture, le souci des tiens
confrontés à l’extrême pauvreté ? Je sais que forcément ce fut pour toi un
déchirement absolu de quitter ta famille, ta maison, ton métier. Pour venir
chez nous, tu as affronté la cupidité des passeurs, les mers, le froid, la rue.
Le 25 août 2015, il pleuvait terriblement sur Calais. Je t’ai aperçu dans
la «jungle». Instantanément tu es devenu, au creux de mon ventre, non plus « la
crise migratoire » mais une personne. J’ai eu très mal de ta souffrance si
visible, si honteuse.
« Ces Français ne reflètent pas la France »
Certains Français chez nous trouvent que ta place est là-bas
sur les champs de bataille ou dans les bidonvilles. Plus triste encore, des
Français ont oublié que certains des nôtres, comme toi, ont dû quitter notre
pays pour échapper aux trains de la mort avant d’être accueillis par des
Justes, dans des pays qui leur ont ouvert les bras. Sache que ces Français-là
ne reflètent pas l’âme de la France. »
« Nous n'avons pas peur de vous »
« Ici sur notre Pays de Retz, terre de modération et
d’humanité, des collectifs généreux sont nés pour t’accueillir, toi et les
tiens. Dans nos communes, des élus se sont engagés depuis le premier jour et le
représentant de l’État a pris sa juste part, avec le concours d’une association
expérimentée, pour t’offrir à Saint-Brevin-les-Pins, un lieu de repos et pour
t’accompagner dans tes démarches et ta reconstruction personnelle. Ces engagements
divers sont cet autre visage de la France.
Pour répondre à la haine qui a pu se manifester, sans
naïveté je veux te redire, à toi et aux tiens, que nous n’avons pas peur de
vous. Vous êtes nos amis, nos frères, nos pères, des êtres humains, avec vos
faiblesses et vos forces. Entendre que les migrants seraient forcément des
criminels me fait horreur. Je voudrais au contraire vous aider à retrouver
votre dignité bafouée sur les mers et dans les broussailles de Calais. »
« Je te souhaite la bienvenue »
« À toi, migrant inconnu, je souhaite la bienvenue. Je serai
heureuse de te rencontrer, de t’entendre, de partager. La fraternité créée
t’aidera, je l’espère, à surmonter les obstacles qui subsistent. Car bientôt tu
recevras des papiers actant la régularité de ta présence parmi nous. À ce
moment précis tu seras sans doute très heureux. Mais ton combat ne sera pas
achevé : les tiens seront encore exposés à l’extrême pauvreté, à la mort
peut-être. Tu voudras travailler dur pour les aider. Tu vivras alors
douloureusement le manque de reconnaissance car tes diplômes n’auront aucune
valeur aux yeux de ceux qui devront reconnaître tes compétences
professionnelles."
« Nous avons besoin de toi »
« Il te faudra peut-être accepter des petits boulots
pour survivre. Dans la fatigue et la solitude, tu perdras parfois ton esprit
combatif. Tu liras alors dans les yeux, au pire l’ignorance et le mépris, au
mieux la pitié. Trop souvent ces questions sont abordées de manière unilatérale
comme si seul l’étranger avait besoin de nous. Mais moi je veux que tu saches
combien nous avons besoin de toi. La relation humaine, vraie, ne se construit
que dans l’échange. »
« Dans ce monde occidental, qui abandonne
progressivement sa philosophie des droits de l’Homme au profit de biens plus
matériels, et qui préfère la circulation des biens et des capitaux à celle des
personnes étrangères, nous avons besoin de toi. Tu peux nous aider à un sursaut
salutaire. C’est par les actions que nous mènerons chacun de notre côté et
c’est dans l’amour de l’être humain que nous retrouverons, toi et moi, toi et
le peuple de France, notre dignité. Pour tout ce monde à renaître je te
remercie. »
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