jeudi 23 février 2017

La presse en parle.

Migrants. Un sas entre deux vies. (Le Télégramme, 16/02/2017).



Mi-novembre, lorsque l'État a décidé de démanteler la « jungle » de Calais et les campements sauvages de migrants à Paris, Brest a participé à la solidarité nationale. 30 hommes, tous demandeurs d'asile, ont été accueillis à Lambé, dans les anciens locaux de la résidence Kermaria. 19 d'entre eux y attendent toujours un futur meilleur.

Il tend son téléphone avec fierté. Au bout de sa main, son honneur et sa dignité ont soigneusement pris place dans sa photothèque, vestige de sa vie d'avant. Uniforme noir, drapeau national floqué à l'épaule et arme à la ceinture, Sefatullah était policier, en Afghanistan. Pas un « migrant », pas un « réfugié ». Juste à un poste à risque lorsque l'on sait comment, là-bas, les talibans ont dans le viseur tout ce qui représente un embryon d'État émergeant de leurs préceptes. Ses photos, il les conserve avec attention, parce qu'elles comptent aussi parmi les preuves qu'il pourra avancer lorsqu'il s'agira d'instruire son dossier. Sefatullah demande l'asile à la France.
À ses côtés, Nyamatullah, son compatriote, 26 ans, maîtrise mieux le français. Lui a quitté son village des zones tribales, non loin de Jallalabad, il y a huit ans. Là-bas, il a laissé une famille décimée par les conflits, la peur pour sa vie, son travail de réparateur de téléphones mobiles dans la boutique de son oncle. Il a fui, à pied. « J'ai marché vers l'ouest, pendant des mois », explique-t-il. Il a dormi dehors, dans des granges, au milieu d'animaux. « Je ne pouvais pas rester là-bas, trop de personnes étaient mortes sous mes yeux ».

« Je suis tellement triste pour mon pays »


On comprend à demi-mot qu'il avait travaillé avec l'armée. Iran, Turquie, Grèce, puis un bateau pour l'Italie et une première halte en Belgique. Puis Paris et la rue, sous les arcades du métro aérien, arrêt Stalingrad. Quand il parle des droits de l'homme, son regard s'allume : « Je suis tellement triste pour mon pays, j'aurais aimé y rester. Mais c'est impossible. J'ai besoin de ma liberté de penser, j'ai besoin de démocratie comme de l'air pour respirer ». Là où certains des 30 hommes arrivés mi-novembre au CAO de Kermaria n'avaient qu'une hâte, retrouver Paris, lui espère vivre ici. « Je suis de Brest », sourit-il. Son statut de réfugié lui a été accordé il y a peu. Pour les 18 autres résidents du CAO, les choses ne sont pas encore réglées.
Certains arrivent du Tchad, de Somalie, d'autres du Darfour. Chacun avec son histoire. Son niveau d'éducation. Sa capacité de s'adapter, bon an, mal an, aux règles et aux habitudes. La cohabitation n'est pas toujours un long fleuve tranquille. Nyamatullah s'agace lorsqu'un des résidents lui coupe la parole, évoque « le respect ». On sent qu'il prend sur lui, préfère s'éloigner.

À 116 dans une barque pour traverser la Méditerranée


Tageldin aussi garde une photo enregistrée dans son smartphone. Celle de la barcasse en plastique dans laquelle il avait pris place, en avril 2014, au large de la Lybie par où il avait transité, depuis son Soudan natal. « On était 116 à bord, c'était un tout petit bateau. On respirait mal, on n'avait rien à manger, ni à boire. Daesh avait mis une bombe à bord, elle a explosé. Tout le monde est mort, sauf 12 personnes. J'étais l'une d'elles. On a nagé une heure dans l'eau, puis un pêcheur nous a sauvés. Finalement il nous a ramenés en Libye. J'ai été mis en prison, pendant sept mois ». C'est là qu'il apprend des bribes d'anglais, grâce auxquelles il peut, aujourd'hui, raconter son histoire. Mais ce n'est pas venu tout seul. « Ils se livrent par bribes », explique l'une des deux travailleuses sociales du Coallia, qui gèrent le CAO jusqu'à sa fermeture, prévue le mois prochain.
Avec Aboubacar, Ahmed et d'autres compatriotes soudanais, ils représentent le « gros des troupes » du CAO. En mars, ils rejoindront des Centres d'accueil de demandeurs d'asile (Cada) en Bretagne ou ailleurs en France, en fonction du devenir de leurs dossiers. À Brest, certains resteront. « Ici, il y a de la pluie, ça fait du bien. Chez nous, c'est tellement sec. »

© Le Télégrammehttp://www.letelegramme.fr/finistere/brest/migrants-un-sas-entre-deux-vies-16-02-2017-11403166.php#ErJfVl5gC1h4pQmG.99

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